Alors que le groupe paramilitaire Wagner annonce son départ du Mali, la Russie assure la continuité de sa présence militaire via l’Africa Corps, nouvelle force soutenue par le Kremlin. Une reconfiguration des alliances sécuritaires dans le Sahel se profile.
Un départ annoncé, mais une présence maintenue
Le groupe paramilitaire russe Wagner a officialisé, vendredi, son retrait du Mali, estimant que sa « mission était accomplie ». Cette annonce marque un tournant dans la présence militaire russe au Sahel, mais elle ne signifie pas pour autant une fin d’influence. En effet, dans la foulée de cette déclaration, une autre entité paramilitaire affiliée à Moscou, l’Africa Corps, a confirmé son intention de rester déployée dans le pays.
Créé sous l’égide du ministère russe de la Défense, l’Africa Corps apparaît comme le successeur stratégique de Wagner, notamment depuis la disparition de son fondateur, Evgeniy Prigozhin. Les premières analyses indiquent qu’environ 70 à 80 % des effectifs du nouveau corps sont issus des rangs de Wagner, ce qui garantit une continuité opérationnelle dans les missions sur le terrain.
Contexte : une reconfiguration du paysage militaire au Mali
La présence de Wagner au Mali remonte à 2021, peu après la prise du pouvoir par une junte militaire à la suite de deux coups d’État successifs en 2020 et 2021. Cette arrivée s’est accompagnée d’un désengagement progressif des troupes françaises et du départ des forces des Nations Unies, qui menaient depuis une décennie une lutte contre les groupes djihadistes actifs dans la région.
Ce changement de partenaires sécuritaires a ouvert la voie à une influence militaire russe plus directe. Dans les discours officiels, la junte malienne justifie ce réalignement stratégique par la recherche d’une plus grande autonomie et une approche différente dans la lutte contre l’insurrection islamiste.
Wagner revendique des succès, mais reste flou sur la suite
Dans une série de publications sur les réseaux sociaux, Wagner a indiqué avoir « remis tous les centres régionaux sous le contrôle de l’État malien », affirmant avoir repoussé les groupes islamistes et éliminé plusieurs de leurs commandants. Cependant, aucun détail opérationnel ni plan de réintégration des combattants une fois de retour en Russie n’a été précisé.
Les déclarations de Wagner interviennent dans un contexte sécuritaire encore très instable, marqué par une recrudescence des attaques ces dernières semaines. Plusieurs incidents violents, y compris un attentat à la bombe près de Bamako, ont coûté la vie à plus de 100 soldats maliens et plusieurs combattants russes, selon des sources insurgées.
Le groupe djihadiste Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM), affilié à Al-Qaïda, a revendiqué plusieurs de ces actions, soulignant que la situation sécuritaire dans le centre et le nord du pays demeure hautement volatile.
L’Africa Corps, un outil stratégique pour Moscou
Alors que Wagner se retire officiellement, le ministère russe de la Défense a affirmé que la Russie « ne perdait pas de terrain », mais qu’elle entrait dans une nouvelle phase d’engagement, qualifiée de « plus fondamentale ». Ce repositionnement repose sur une stratégie qui semble moins offensive sur le terrain, mais plus institutionnelle et structurée, avec un accent mis sur :
- La formation des troupes maliennes
- La fourniture d’équipements militaires
- Le développement de partenariats logistiques durables
Cette transition reflète une adaptation du Kremlin à la fois aux dynamiques locales au Sahel et à la nécessité de renforcer son image d’allié fiable pour les États africains. Dans une région marquée par la compétition entre puissances étrangères, cette continuité de présence rassure les autorités maliennes, tout en permettant à la Russie de consolider ses intérêts stratégiques, notamment en matière d’accès aux ressources et de positionnement géopolitique.
Une influence renforcée sous une autre forme
Selon Ulf Laessing, spécialiste du Sahel à la Fondation Konrad Adenauer, ce passage de relais entre Wagner et l’Africa Corps n’implique pas un retrait russe, mais un changement de nature dans l’intervention. Là où Wagner était engagé dans des actions militaires directes, souvent controversées, l’Africa Corps pourrait s’inscrire dans une dynamique plus « étatique », orientée vers la coopération militaire classique.
Ce changement est crucial pour préserver la légitimité internationale de l’engagement russe, à un moment où Wagner reste sous sanctions et fait face à des accusations de violations des droits humains dans plusieurs pays.
Que peut-on attendre dans les mois à venir ?
Si la Russie maintient sa présence au Mali, les objectifs concrets de l’Africa Corps restent encore flous. Continuera-t-il les opérations de combat à l’image de Wagner ? Ou s’orientera-t-il vers un rôle de formation, d’équipement et d’assistance technique ?
Par ailleurs, la junte malienne, qui n’a pas encore commenté officiellement le retrait de Wagner, pourrait jouer un rôle déterminant dans le redéploiement et la redéfinition de cette coopération militaire. Ce silence peut être interprété comme une volonté de maîtriser la communication autour d’un dossier sensible, dans un pays où les alliances internationales sont devenues des enjeux de souveraineté.
Une stratégie russe évolutive mais constante
Le départ de Wagner du Mali ne marque pas la fin de la présence russe, mais une évolution stratégique vers une approche plus institutionnelle et peut-être plus pérenne. Grâce à l’Africa Corps, Moscou maintient sa position dans une région clé, tout en tentant de redorer son image après les controverses liées à Wagner.
Pour le Mali, ce changement de partenaire militaire ne garantit pas une amélioration immédiate de la situation sécuritaire. Mais il souligne le rôle central que la Russie entend jouer dans la recomposition des alliances militaires en Afrique de l’Ouest.
