Le gouvernement gabonais a annoncé une décision historique qui pourrait transformer en profondeur la structure économique du pays. À compter du 1er janvier 2029, l’exportation de manganèse brut sera totalement interdite, marquant une rupture nette avec le modèle extractiviste en vigueur depuis plusieurs décennies. Cette politique, articulée autour d’une stratégie de transformation locale des ressources naturelles, vise à faire du Gabon un acteur industriel de premier plan dans le secteur minier.
Une décision stratégique à fort impact économique
Le manganèse est l’un des piliers de l’économie gabonaise. Utilisé principalement dans la sidérurgie pour le renforcement de l’acier, ce minerai constitue avec le pétrole et le bois l’une des trois principales sources de revenu du pays. Le Gabon est aujourd’hui le deuxième producteur mondial de manganèse brut, un rang qui témoigne de la richesse de son sous-sol, mais aussi d’une forte dépendance à l’exportation de matières premières non transformées.
Le décret publié par les autorités gabonaises précise les grandes lignes de cette réorientation économique : développement d’une industrie locale de transformation, renforcement des compétences nationales, création de valeur ajoutée locale et augmentation des recettes fiscales. Ce tournant vers l’industrialisation est conforme aux ambitions exprimées par plusieurs pays africains ces dernières années : tirer davantage de profit de leurs ressources naturelles, en développant des filières intégrées, de la mine au produit fini.
Vers la fin de l’économie d’extraction brute
Pendant des décennies, les matières premières ont quitté le sol africain sous forme brute pour être transformées ailleurs. Le Gabon veut désormais inverser cette logique. Pour cela, l’État prévoit d’imposer aux opérateurs miniers une transformation sur place du manganèse, ce qui devrait aboutir à la création d’usines de traitement, d’alliages et potentiellement de produits dérivés utilisables dans les industries sidérurgiques, électroniques ou de la batterie.
La transformation locale de ce minerai représente un enjeu stratégique pour le développement technologique. La mesure contribuera également à structurer de nouvelles chaînes de valeur, à favoriser l’émergence d’un tissu industriel local et à renforcer l’autonomie économique du Gabon face aux fluctuations du marché mondial des matières premières.
Une période de transition de trois ans pour le secteur privé
Conscient des défis qu’une telle transformation impose aux entreprises, le président Brice Oligui Nguema a annoncé qu’un délai de trois ans serait accordé aux opérateurs du secteur pour adapter leurs infrastructures et investir dans des unités de transformation. Ce calendrier progressif vise à ne pas brusquer l’activité économique actuelle tout en amorçant la mutation industrielle du pays.
Parmi les opérateurs concernés, figure le groupe français Eramet, qui exploite depuis plusieurs années la mine de Moanda, dans l’est du Gabon. Ce site est l’un des plus importants au monde, représentant à lui seul 15 % de la production mondiale de manganèse. La nouvelle législation contraindra Eramet et ses concurrents à revoir leur stratégie d’exploitation, à investir localement et à s’intégrer dans une logique de transformation à valeur ajoutée.
Un défi logistique et énergétique de taille
Toutefois, cette ambition industrielle se heurte à un problème structurel majeur : l’insuffisance des infrastructures énergétiques. La transformation minière à grande échelle est une activité énergivore, nécessitant un approvisionnement électrique stable et massif. Actuellement, le Gabon ne dispose pas des capacités suffisantes pour alimenter une industrie métallurgique complète, ce qui pourrait constituer un frein à la mise en œuvre rapide de la nouvelle politique.
Pour y répondre, un projet de barrage hydroélectrique de 600 mégawatts est à l’étude, ainsi que le développement de centrales à gaz destinées à soutenir l’activité industrielle naissante. Ces projets sont encore à l’état de planification, mais ils sont considérés comme indispensables au succès de la stratégie de transformation locale. Une source proche du ministère des Mines a confirmé que les discussions étaient bien engagées avec plusieurs partenaires techniques et financiers.
Une mesure aux multiples implications
Au-delà de son aspect économique, cette décision soulève plusieurs questions sur le plan environnemental, social et géopolitique. L’implantation d’usines de transformation implique une montée en compétence rapide de la main-d’œuvre locale, qui devra être formée à des métiers techniques et spécialisés. Des investissements dans la formation professionnelle, les partenariats avec des instituts technologiques ou encore la création de zones industrielles dédiées seront nécessaires.
D’un point de vue environnemental, le Gabon devra veiller à ce que le développement industriel ne se fasse pas au détriment de la biodiversité et de la préservation des écosystèmes, éléments qui font partie de son image à l’international, notamment dans le cadre de ses engagements pour le climat.
Enfin, sur le plan géopolitique, cette décision pourrait redistribuer les cartes dans les chaînes mondiales d’approvisionnement, en obligeant les clients traditionnels du manganèse gabonais à adapter leurs approvisionnements et leurs modèles économiques. Certains pourraient être amenés à investir directement sur place, d’autres à chercher des alternatives auprès d’autres producteurs.
Une volonté politique forte pour un nouveau modèle
La décision du Gabon de mettre fin à l’exportation de manganèse brut n’est pas simplement technique : elle est éminemment politique. Elle reflète une volonté de maîtriser pleinement les ressources naturelles du pays et de s’affranchir d’un modèle hérité de la période coloniale, dans lequel l’Afrique reste le pourvoyeur brut de ressources pour les industries étrangères.
Si la réussite de cette transition dépendra de nombreux facteurs – infrastructures, stabilité réglementaire, accompagnement des investisseurs – elle constitue d’ores et déjà un signal fort envoyé à l’économie nationale comme aux acteurs internationaux : le Gabon veut s’inscrire dans la durée comme une puissance industrielle en devenir.